jeudi 9 avril 2009

Le fils du pauvre - Mouloud Feraoun


Les choses changent. En bien ou en mal, elles changent. Dans ce voyage immobile qui me conduit régulièrement d'un bout à l'autre de la planète, les étoiles pour vertige, la gare centrale de mon grenier devient le point de départ d'un périple pendant lequel la mémoire a une histoire à proposer et une suivante à absorber. Le passé n'étant que le résultat immédiat du présent, pardonnez si, parfois, je digresse, mais, voyez-vous, qu'il s'agisse de livre ou de voyage, la pensée n'a qu'une idée en tête : se laisser aller à l'émotion égoïste de l'instant qu'elle traverse.
Je me souviendrai longtemps de cette dernière montée au grenier et de ce livre. Une visite obligatoire. Une visite officielle. Le monsieur se tenait au milieu de la pièce, le regard avide du prédateur à l'affût. Isolé, mais point aménagé, le grenier présentait un capharnaüm assez rebutant. N'importe qui aurait tourné les talons, mais certainement pas lui. Il était là pour le boulot. Son sale boulot de mandataire. Dans son costume classique de chasseur de misère, un bloc à la main, il notait les miettes pouvant encore avoir une valeur. Il calculait à la louche. Tant pour l'affreuse reproduction d'un tableau de maître, tant pour le bidule appuyé contre l'oeuvre du maître… Mon grenier servant d'entrepôt, tout objet inutile, mais « pouvant encore servir » y trouvait place. Une saisie ressemble au G 20. On note tout ce qui soulage en oubliant l'essentiel : le facteur humain. Je n'aime pas les mandataires judiciaires !
Celui-ci avait une particularité. Il semblait avoir un certain goût pour les livres et pour la lecture. Il disait avoir aimé Balzac. Cela ne me surprend pas. Balzac et les huissiers, cela ne relève plus du roman mais de l'encyclopédie de moeurs ! Je ne raccompagnai pas cet amateur de littérature qui prétendait ne pas manquer de besogne ces temps-ci. Il devait avoir une bibliothèque avec des livres achetés chez Reader's Digest, avec signet en tissu scotchée à la première page, attendant que l'heure de la retraite sonne pour lire le premier paragraphe.
Je demeurai là longtemps après son départ. On dit que la vie est recommencement. Je pris un livre au hasard. Le premier paragraphe ramena à ma mémoire des pans entiers de mon enfance et de ma jeunesse en un frisson de douce mélancolie. Trois heures plus loin, je lisais encore l'oeuvre d'un grand écrivain, doublé d'un homme de bien : Mouloud Feraoun, « Le fils du pauvre », aux éditions du Seuil. J'avais trois ans quand ce livre fut édité dans la collection Méditerranée. Onze quand son auteur fut assassiné par l'OAS à El-Biar, alors qu'il participait à une réunion des centres socio-éducatifs, près d'Alger.
Mouloud Feraoun était un homme de culture, un prêteur de voix. Quel danger peut représenter un tel homme pour ses semblables pour qu'on le tue comme un chien ?
Dans ce livre, tout en finesse, il offre sa voix, l'espace du récit, à Menrad Fouroulou, instituteur d'un bled kabyle. L'occasion pour lui de nous parler enfance, famille, pays, misère et racine. En nous livrant le portrait de sa famille, c'est tout un pays, la Kabylie, et son esprit hautement digne qu'il met en lumière.
Dans un style d'écriture clair et concis, l'auteur que l'on a comparé en son temps à Jack London et Maxime Gorki pour son talent de conteur, nous livre une vérité indiscutable : à une époque où nous nous interrogeons sur l'avenir, lui nous invite à ne jamais oublier d'où l'on vient.
Cet homme qui parlait de Camus comme d'un frère et de la culture comme d'un bien commun à tous les hommes mérite en ce jour toute notre attention.
Un homme libre ne peut être inféodé, tel est le propos de Mouloud Feraoun !

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