samedi 7 septembre 2013

La maison du peuple suivi de Compagnons – Louis Guilloux

Illustration B.mode - ruminances
Je traînais une sale humeur dans mon grenier. Dans le monde silencieux du savoir et de la réflexion, j'allais au hasard, cherchant un livre qui me procurerait la distance qu'il faut entre l'événement et la colère intérieure.
Je posais une main sur « La métamorphose » et je la retirais aussitôt. Livre extraordinaire, tellement connu et tellement actuel. J'avais le bourdon, je n'allais quand même pas ajouter le cafard ! Je n'avais pas l'esprit à évoquer la vie des blattes et autres cloportes. Pourtant...
Je continuais ma progression. Puis, juste là, entre une complexe « sociologie du langage » et un Jean Paulhan, mon voisin le briochin : Louis Guilloux. « La maison du peuple ». Un livre préfacé par Albert Camus ! Autant dire que nous en avons deux pour le prix d'un. Né et mort à Saint-Brieuc (1899-1980), Louis Guilloux était un homme qui n'est jamais sorti de sa discrétion en s'aidant des coudes pour chourer la place du voisin. Trop classe, trop noble pour cela. Comme le peuple, dont il est issu, c'est un humble au talent impeccable. Un homme se méfiant des honneurs et refusant les médailles. Un gars fier de son travail. Qui n'aimait pas la guerre et qui la combattait farouchement. Un homme libre. Il était l'ami préféré de gens tels Gide, Malraux ou Camus…
Cela fait longtemps que je songe à célébrer la mémoire de Louis Guilloux, ami de beaucoup d'intellectuels et vrai fils du peuple. Socialiste non encarté (un libertaire pour être précis) il cherchait dans la géographie de ses racines la protéine d'un avenir commun à l'humanité, sans guerres ni religions encombrantes.
Qui songe aujourd'hui à Louis Guilloux, hormis la plaque sur laquelle est frappée son nom, collée au coin d'une rue dans laquelle se déversent des milliers de vies à la recherche d'un nom propre ou d'une administration où aller demander un délai pour casquer sa taxe.
Je prenais le livre et ouvrais ses portes avec l'appréhension de celui qui pénètre un royaume qu'il connaît et dont il redoute l'immersion. Je n'ose plus le moindre pas dans cet univers dont je connais l'étendue et la misère, je deviens orphelin d'un geste, d'une parole. Je deviens maladroit. Quand on vient de la basse, il faut beaucoup de talent et beaucoup de courage pour libérer la parole, pour trouver le mot juste, pour ne pas être injuste même si parfois on est excessif. Pour être à la hauteur exacte de la vérité. La parole qui vous a vu naître, qui vous a bercé, qui vous a fait vivre, quémander, souffrir et qui vous aide à rester debout sans ne rien renier de votre dignité, sans ne rien devoir au mensonge. C'était l'époque où l'on parlait échoppe, varlope, allumeur de réverbère et autres bricoles du genre, comme ressemeleur de chaussures. C'était l'époque où les gens de mauvaise fortune faisaient le trimard, le trottoir pour les filles, le vagabondage pour les garçons. Mélangez le tout et vous obtiendrez le vrai cocktail d'un monde où le courage ne suffisait pas toujours pour rester debout.
Paradoxe de l'histoire. A l'époque du roman de Louis Guilloux les ouvriers se battaient pour construire de leurs propres mains la maison du peuple. Ils prenaient sur leur temps de repos (le dimanche) le temps de bâtir un lieu de vie commun à tous. Un espace pour lire, pour penser, pour se battre et pour rêver. Un lieu à la hauteur des revendications ouvrières et du combat qu'ils menaient pour un monde meilleur. Aujourd'hui, nous avons cet espace, mais il n'y a plus d'ouvriers !
De la prise de conscience à la trahison, espoir, luttes et déceptions formaient les rigoles d'un même champ. La couleur était au rouge. La couleur était au noir. Le rouge du drapeau. Le rouge du sang versé pour une vie, pour une cause, pour un bonheur commun à tous, pour porter haut les couleurs de sa dignité. Le noir pour porter le deuil de toutes les souffrances et de toutes les humiliations.
Un roman de culture, un roman d'émotion, dans lequel les notions d'amitié, de solidarité, de respect, de fraternité et d'humanisme ont un sens. J'ai eu des larmes en relisant « Compagnons », dédié à Jean Guéhenno. Deux fois que je pleure en lisant ce roman.

6 commentaires:

  1. Bonjour les gens. Un livre pour saisir et se ressaisir, si tant est que... Et un peu de zyque aussi pour secouer le cocotier, Manu Chao en l'occurrence.
    Bonne journée à tous.

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  2. Sûr. Rien ne vaut les bonnes lectures. Pour l'instant j'en suis au "Silence des Chagos", de Shenaz Patel (éditions de l'Olivier). Ou la perte du Paradis Perdu. Doux et terrible. Merci à Rémi qui me l'a prêté. Et merci à ces chers britanniques, qui ont déporté sans le leur dire toute une population, afin de louer l'emplacement à la flotte US de l'Océan Indien. L'île principale de l'archipel s'appelle Diego Garcia.

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    1. Je me souviens avoir entendu parler de ce livre, par Rémi ou Clomani, peut-être les deux. Pas lu.

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    2. La raison d’État ou l'état de déraison, voulais-je ajouter avant d'être interrompu par la visite d'un ami.

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    3. C'était hier un grand jour : un ami créait mon nouveau site-photo "Sur Prises de vue" et tu publiais ce billet sur Louis Guilloux, dans ce site de tes lectures : site QUE J'IGNORAIS, même si j'en ai lu un bon nombre sur Ruminances (pas tous). Ainsi, petit cachotier, tu ne fais pas trop de pub sur cet excellent site de "ta casbah"... le grenier de ton grenier, en somme !!
      Et c'est par les liens mis sur mon mon nouveau site, que je te découvre là, aujourd'hui !
      Revenons à Louis Guilloux. Je ne sais si je t'ai dit que je l'ai rencontré peu avant sa mort, chez lui à Saint-Brieuc, à ma demande... Sans doute en 1980. Je connaissais déjà "La Maison du Peuple" et l'avais relu avec émotion dans "sa ville" dont il romance sobrement la création épique de sa Maison du Peuple... Il m'avait reçu très gentiment, écouta mon blabla sur ma pérégrination de Paris à Saint-Brieuc, répondit peu à mes questions littéraires et beaucoup sur la dignité de vivre, d'oser lutter et vivre... Quelle visite !!!

      Il y a environ 3 ans, j'allais à Rennes à l'invitation de vieux amis et je découvris une belle exposition sur Guilloux. Qui me donna l'occasion de le faire connaître à ces amis !... sa vie continue !

      En prime : mon premier commentaire sur ce site, fait écho à ton premier commentaire sur mon nouveau-né, ce jour : nos vies continuent !
      Et nous rajeunit : c'est vers 1980, aussi, que j'ai dû faire ta connaissance à Bréhat, peu après cette visite au vieux "maître libertaire" !

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    4. Eh, oui, Rémi, ça remonte. Je me souviens du récit de ta rencontre avec Louis Guilloux...

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