mardi 10 septembre 2013

La méduse et l'escargot, réflexions d'un biologiste - Lewis Thomas

Illustration B.mode, ruminances
Les cloches sonnent à la volée. Dimanche froid et pluvieux. Le vent tourne, vire, change de bord et revient. Poussée par les rafales d'ouest, la pluie fouette les vitres. J'aime ces journées où l'emmerdement s'annonce solide, vous pousse à emmerder le voisinage. A imaginer des bonnes ou des mauvaises blagues. Quand j'étais gamin j'adorais ça. Aller dans les HLM, là-bas, dans le quartier des terrasses, au Maroc espagnol, monter au dernier étage d'une cage quelconque, muni d'une corde, attacher les poignées de porte, laissant un peu de mou pour que chaque voisin jette des cris vers son vis-à-vis, sans pouvoir glisser le bras pour défaire le nœud. Ça me tordait. Généralement, les bonnes femmes venaient aux fenêtres, interpellant le passant pour qu'il vienne les délivrer. Les mecs étaient encore plus drôles. Moulés dans des Marcel hyper blancs, brandissant un poing solide contre l'ennemi invisible, qu'ils se juraient de corriger, si jamais ils l'attrapaient. Lui et sa race ! J'adorais les observer. C'était moi sa race ! Mais ils l'ignoraient. Il m'arrivait de faire ça chez mes parents. Mon vieux aussi tirait la gueule !
Tout ça a disparu, ou n'a plus la même couleur ni la même saveur. Va aujourd'hui attacher deux poignées de porte dans un quartier pavillonnaire sans heurter une caméra de surveillance, un pitbull ou des voisins organisés en milice ! Même Fellini est tout révulsé dans sa tombe.
Et si j'allais au grenier humer la poussière du temps qui passe ? Ça commence à faire un sacré tumulus. Le livre est un avion. En moins deux, il vous dépose n'importe où pour un prix très raisonnable. Je me souviens de ce livre et de sa petite histoire. C'était à l'île de Bréhat. A l'époque je faisais équipe avec l'ami Daniel, un passionné d'hexagramme et l'ami d'un tas de gens avec qui j'ai partagé des grands moments. Une pensée particulière pour Pierre Clémenti. Nous avons passé avec lui une période très remuante. La Chine était et demeure le rêve de Daniel. Je précise que rien n'est plus éloigné de la pensée maoïste que mon ami Daniel. Il préfère se colleter avec un réactionnaire intelligent que de se farcir un militant idiot entre midi et quatorze heures. Je dis ça à l'adresse de ceux qui pourraient penser que Daniel est un adepte du petit livre rouge.
Un jour a débarqué Cyrille, sinologue et ami de Daniel venu lui rendre visite. En quittant l'île, Cyrille est passé me saluer et m'a laissé un livre. Il m'a dit : « quand t'auras fini la lecture, tu me l'envoies. » La chose remonte à 1983/84. J'ai lu le livre, je l'ai aimé. Je l'ai relu, je l'ai encore aimé. Je l'ai gardé sans même le remercier. Il est entre mes mains. Depuis, Cyrille a continué d'enseigner, a fait des allées et venues en Chine et publié sous le nom de Kyril Ryjic chez Payot « L'idiot chinois », deux volumes sur lesquels il a bossé comme un fou.
Le livre qu'il m'a jadis prêté ? : « La méduse et l'escargot, réflexions d'un biologiste » du docteur Lewis Thomas. En une petite trentaine de chapitres (j'allais dire articles) le docteur Thomas balance sur le marbre la puissance concentrée d'un savoir avec la dissipation d'un carabin en vadrouille. Humour et sarcasme s'insinuent dans la réflexion, moitié scientifique, moitié philosophique, avec un bonheur incroyable. Il a sur la vie le regard pénétrant de quelqu'un qui sait, sans étaler sa science pour l'épate. Il a la fraîcheur et l'allant de celui qui découvre. Un livre de scientifique qui n'a rien d'assommant, en somme. Même si derrière son trait se dissimule un peu de résignation, cela n'entame en rien le plaisir qu'on éprouve à sa lecture.
En ramenant les choses à leurs justes dimensions, Lewis Thomas découvre et nous fait découvrir, outre notre taille, « qu'il arrive parfois que la confusion des identités soit telle que deux créatures, attirées par la configuration moléculaire l'une de l'autre, en viennent à former un organisme unique intégrant et transcendant leurs deux identités. » Telle est le sens de la parabole. Telle est l'aventure palpitante révélée dans « La méduse et l'escargot ». On lit aussi un très beau chapitre consacré à Montaigne, pour qui l'auteur a un peu plus que de l'admiration.
Lecture très actuelle !


« La méduse et l'escargot, réflexions d'un biologiste » - Lewis Thomas - 8€ environ

3 commentaires:

  1. Bonjour les gens. J'aurais pu nous proposer aujourd'hui un petit détour par la Syrie. Non. Tout le monde en parle et plus je lis, plus j'ai l'impression de me trouve au milieu de deux groupes de pression, chacun tenant le bout d'une ficelle avec laquelle on s'amuse à faire yoyo avec ma tête...
    Allez, pour les rares passants, écoutons Geoffrey Oryema en Zyque Du Jour, lisant ou relisant ce biologiste pétillant d'intelligence.

    RépondreSupprimer
  2. Le bouquin de ton "pétillant" biologiste a tout l'air en effet d'être passionnant : si jamais in encombre trop ta caverne d'Ali-baba, envoie moi cette pépite !!
    Mais, en prime, tu me rappelles cette époque bréhatine "du bon temps" comme dit madame Michu, que j'ai vécu avec Daniel, Cyrill, Arditti et toi (entre autres)...
    salut l'artiste !

    RépondreSupprimer