dimanche 6 octobre 2013

Victor Nazaire, poète maudit (suite et fin)

Vers la fin de sa vie, Victor Nazaire fut pris de mélancolie. Sentant proche la fin de son chapitre terrestre, qu'il aura marqué du signe du courage, il décida de revenir au pays qui le vit naître pour un ultime saut dans le vide. Installé sur un rocher au bord d'une plage de Tarifa, province de Cadix, face aux côtes marocaines, où il était venu rendre visite à son ami Fermín Salvochea, grande figure de l'anarchisme andalou, que Victor prit la décision d'un retour au pays. La boucle était bouclée, jugea-t-il, pensant au courrier qu'il avait reçu de sa Bretagne natale, où un proche lui annonçait le décès de l'Angela-de-l'Estuaire. Une séparation dont il ne put jamais tout à fait effacer le remords, apaiser la douleur, se pardonner la lâcheté... Elle, pour qui il écrivit, sans lui faire partager, ce qui demeura son grand regret amoureux  :

ÉCHO
Voici que s'ouvre 
La fleur de l'aurore 
Te souviens-tu 
De ce fond de soir 
Le dard de la lame 
Épand son parfum froid 
Te souviens-tu 
De ce regard d'août 
Sur le port du Guilvinec 
Je n'ai rien voulu 
Rien voulu te dire 
J'ai vu dans tes yeux 
Deux jeunes arbres fous 
De brise, de rire et d'or 
Qui remuaient 
Je n'ai rien voulu 
Rien voulu te dire 

Le bagage que Victor Nazaire laissa après sa mort était des plus légers. Jugez-en  : un porte-monnaie (vide) / Un crachoir de poche / Une trousse à outil de bicyclette sur laquelle est inscrit le mot « chimère » / Une paire de lunettes / Un coquillage portant l'inscription « Saint-Nazaire » / Un miroir / Une cravate/ Un carnet de 18 poèmes*, d'où j'extrais quelques passages pour vous donner un aperçu de l'immense talent poétique :

Poème n° 1. Où Victor Nazaire parle de sa naissance. On ne peut qu'admirer la finesse de l'image, la force du trait :

NAISSANCE 
Ce siècle avait deux ans. Dans la tourbe de la Brière. 
Au-dessus des roseaux, les oiseaux pointaient leurs becs fiers. 
Au loin par flots de Loire traversés
Étraves noires et lourds étambots rabotés
Dans ce plat pays où les hommes courbent l'échine
Où le mandarin est arrivé à pied par la Chine,
Et que son cou ployé comme un frêle roseau
Fit faire en même temps sa bière et son berceau,
Naquit d'un sang breton et breton à la fois
Un enfant sans couleur sans regard et sans voix
Cet enfant que la vie appelait à vivre,
Mais qui manquait de vivres pour vivre
C'est moi.
 
Chers amis de la poésie, c'est le cœur saignant que j'abrège... Si je m'écoutais... Voici à présent, le poème n° 6, son poème le plus emblématique :

OCEANIC INTOX

Oh ! Combien de nazairiens, combien de nazairiennes
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis !
Combien ont disparu, dure et triste fortune !
Dans une mer sans fond, par une nuit sans lune,
Sous l'aveugle océan à jamais enfouis !

Oh ! Combien de nazairiens, combien de nazairiennes 
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines, 
Dans une mer sans lune, par une nuit sans fond 
Dans ce morne océan à jamais évanouis 
Combien ont disparu dur et triste horizon 
Sous l'aveugle fortune à jamais enfouis

Oh ! Combien de joyeux, combien de courses lointaines, 
Sont partis nazairiens pour des nuits sans fond 
Dans une mer sans lune à jamais nazairienne 
Dans ce morne océan sous l'aveugle fortune 
Combien ont disparu durs et tristes évanouis 
A jamais enfouis dans l'horizon ! 

Oh ! Combien de combiens, combien de combiennes 
Qui sont partis marins pour des courses nazairiennes 
Dans une mer de fortune, dur et triste horizon 
Par une nuit sans océan, combien de capitaines 
Sont partis trop loin, rien nazaire de courir 

Il faut partir à point.

* Merci à l'Association Victor Nazaire, passage Bel Air, à Saint-Nazaire, pour l'ensemble des documents mis à ma disposition, il y a longtemps, sans autre contrainte que celle de perpétuer la mémoire du Maître. J'espère y être parvenu. Sinon, le "droit de réponse" est rigoureusement rigoureux


l'Erby Show

6 commentaires:

  1. Bonjour les gens. Temps maudits, temps de poésie.
    La guerre fait rage entre "l'ancien monde" et le "nouveau modèle" qui n'est, au fond, qu'une façon différente d'atteindre définitivement l'objectif continuellement recherché : asservir l'homme libre, le réduire en poussière. De tout temps, les partisans du "courbe-toi que je te fouette" ont mis en pratique des méthodes de plus en plus sophistiquées pour parvenir à leurs fins, avec un taux de réussite assez surprenant, avouons-le. Hélas, pour ces fanatiques de la vie à genoux et du coup de gourdin frénétique, sous la carcasse du soumis, parce qu'il est fait de chair et de sang, parce qu'il n'est pas une machine, parce qu'il lui arrive de rêver, frétille encore, même si faiblement, un sentiment de révolte et une certaine idée de l'utopie, ce qui n'est pas une mauvaise nouvelle...
    Transhumanisme, NBIC : un monde sans humains ?..

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  2. Victor Nazaire, plus qu'homme, nous chantons un estuaire !
    Depuis Central Massif jusqu'à l'âpre Morvan ,
    Des sables orléaniques à l'élégant Saumur,
    Roulent galets en rangs pressés vers l'embouchure
    Et limon précieux donné à l'océan.
    Ainsi naviguent tes vers, ô Victor Nazaire !

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  3. dernier poème à rapprocher de drames sans fin des clandestins qu'on retrouve au fond de l'eau. Bon dimanche

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  4. Tu annonces un peu légèrement le mot "FIN" dans ta suite du récit des "Zaventur" de Victor NaZaire (le mot Zavantur est de lui, car ce poète si Zingulier aimait beaucoup la lettre Z et mettait toujours une majuscule au z de son auto-patronyme)...
    Oui, Zingulier (ou Zin-Zin disent de mauvaises langues) Victor puisque l'on découvre peu à peu (histoire SANS FIN...) que ses talents ne se limitent pas à la poésie (son "Combien de combien..." fut plagié par un certain Hugo-Victor) mais s'étend à la photographie (en daguerréotypes) et à la sculpture - entre autres...
    Je reviendrai sur ce sujet ici dans la journée, ou bien plus tard sous forme d'un billet dédié à "l'histoire sans fin du héros multiforme Victor Nazaire"... quand j'aurais le temps. Car mon temps est bousculé par la tenue de mon exposition et, tiens, à propos: je reviens au lien que tu donnais (SurPrises de Vue) dans un commentaire de ton billet du jeudi 3 octobre, sur la visite de Jean Jacques (Couleurs d'Aencre) chez moi. Ce jeune (tout est relatif) phoète de notre estuaire de Loire a mis dans son billet une photo qu'il fit de l'expo et qui associe une petite sculpture d'une femme assoupie sur mon vieux meuble de télé, et l'image fixe - un daguerréotype - qui couvre l'écran.
    C'est ce sujet que je vais aborder plus tard ici... Faut que j'aille au marché, pour emplettes et pour ma pub!!... bon dimanche à tous...

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    1. "Suite et fin", en ce qui me concerne, cela va de soi, Ô Druide chatouilleux ! Justement, j'ai ouïe (l'information reste à confirmer) que Victor Nazaire avait des contacts suivis au Portugal avec des anars lusitaniens... De nouvelles et fracassantes révélations sur son implication politique au pays de Magellan ?...

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