mardi 7 juillet 2009

Olga ma vache et autres nouvelles– Roland Dubillard


La vie n'est réelle ou ne le devient que lorsqu'elle est rêvée, quand son destin s'accroche aux branches de l'illusion pour saisir le pavé des injustices, pour éteindre ou allumer le feu des passions. Pour baiser des lèvres assoiffées ou caresser la courbe d'un désir torrentueux.
Tout le monde le pensait, quelques-uns le disaient, d'autres se taisaient, mais tous étaient unanimes : ce couple ne tiendrait pas ! Cette passion était une toquade. Un caprice intellectuel dont on parlerait plus tard avec amusement.
L'histoire de cette nouvelle et des deux autres (« Les campements » et « Confession d'un fumeur de tabac français ») donnent au livre la folie à partir de laquelle l'auteur s'applique à détruire par l'absurde les règles bien établies d'un ordre dont la cohérence ne tient qu'à son bon vouloir.
Parce qu'il était à plat, qu'il avait besoin de repos. Parce que le hasard arrive parfois au bon moment. Pour des tas de raisons ou pour une seule, ses pieds se posèrent là. L'échec de son drame poétique « L'ampoule » l'ayant précipité dans le néant, l'espoir l'ayant quitté, pour lui éviter un naufrage définitif, son ami Gabon, artiste peintre ayant réussi par la suite une belle carrière de chauffagiste, l'invita à venir passer quelques jours dans sa maison de Normandie. Ce séjour était l'occasion de faire le point et de repartir de zéro avec cependant quelques certitudes, sinon à quoi cela servirait de repartir de zéro ? Voilà un voeu qui m'a toujours laissé perplexe : « repartir de zéro ». Cela veut dire quoi ? Que l'expérience acquise précédemment ne sert à rien ? Que tous ces efforts sont juste bons à être annulés ? Est-ce parce que l'on met le kilométrage d'un compteur à zéro que le moteur devient aussi net qu'à sa sortie d'usine ? Ne nous égarons pas !
C'est dans cet état d'esprit que notre héros croisa le regard d'Olga. Un véritable coup de foudre. A l'époque (la nouvelle fut écrite en 1948), la campagne et les plages normandes portaient les traces de je ne sais combien de jours et de nuits d'horreur. De cela et de bien d'autres choses, les amoureux n'avaient pas conscience. La seule chose qui comptait pour ces amants d'une espèce rare c'était la vie, de laisser couler le temps en sondant le miroir de leurs pupilles. Le héros de cette histoire qui pourrait aussi bien être l'auteur du livre ou l'artiste peintre ou le metteur en scène ou la très attentionnée Véronique. Vous suivez ? Tant mieux parce que moi j'ai eu un certain mal. Le fait est qu'une des vaches du cheptel, une blanche avec des taches marron, Olga, toute petite et mignonne avait accepté de poser pour Gabon. « Une génisse, disait Gabon, est une jeune vache n'ayant pas encore vêlé. » Question virginité, Gabon semblait connaître un rayon. Olga, elle, ne semblait pas concernée par le sujet. Elle posait en broutant délicatement quelques touffes sauvages. Il ne lui manquait que la parole mais cela viendrait plus tard. L'amour est capable de tout, y compris de donner la parole à une vache.
Transpercé par le regard d'Olga, séduit par sa ligne, quelque chose de nouveau vint altérer les sens de notre héros. Il venait de découvrir le fil d'une passion désordonnée, comme le sont toutes les passions du reste. De ce désordre naquit une conviction : la nécessité de vivre en couple. Pas facile quand on habite en ville. Je vous laisse découvrir la suite de ce truculent morceau de poésie que la littérature, toujours insatiable, offre à notre curiosité longtemps après éclosion.
Ces histoires, Roland Dubillard nous les présente comme un spectacle radiophonique tant l'écriture possède la musique du parlé. Ne vous méprenez pas cependant : il y a dans le contenu et dans son expression l'état de grâce et la virtuosité poétique d'un créateur littéraire. Comme si tombant sur le cahier, en s'ouvrant, les idées nous ouvraient un autre chemin. La petite touche psy insinuée dans l'ensemble apporte une fraîcheur indéfinissable à l'oeuvre d'un auteur singulier.
La beauté de ce livre se résume à ce mot de l'auteur dans l'une des trois histoires : « Son poids est celui de la plume avec laquelle j'écris, je le soulève quand je la prends, et je la prends par plaisir. » Le plaisir que j'ai eu à sortir ce livre de l'étagère dans laquelle il était rangé, en haut, dans mon grenier.

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