vendredi 29 avril 2011

Octave Mirbeau, radical libre à grande réactivité chimique


Pour le lecteur que je suis, la rencontre avec un auteur a souvent été liée au hasard. Avant l’œuvre, il y a le livre, celui qui vous ouvre les portes d'un royaume dont on ignore tout, à commencer par le livre lui-même. Un lieu qu'on attend sans savoir où sa découverte conduira, paradis ou enfer. Seule certitude, inévitable pour quiconque ne se contente pas de consommer comme une machine conditionnée, attendre... Octave Mirbeau fait partie de ma rencontre avec un livre et avec un auteur.
Je me souviens qu'à l'époque où l'on me prêta un Mirbeau, je sortais d'une lecture furieuse et passionnée de Stefan Zweig. Je me sentais orphelin de lecture... Tout livre que j'ouvrais me paraissait fade, sans lumière, dépourvu de l'étincelle poétique que le grand Zweig m'avait procuré... J'ouvrais un livre pour le refermer aussitôt. Pas qu'il fut mauvais, mais mon esprit avait besoin d'agrandir le boulevard. J’attendais impatiemment. Quoi ?... Précédemment, j'avais éprouvé la même sensation après avoir avalé – ne riez pas ! – un paquet de volumes de Michel Zévaco. Un grand vide encore...
Mes trois premiers livres d'Octave Mirbeau, autobiographiques, furent, dans l'ordre : Sébastien Roch, diatribe contre l'enseignement, religieux en l'occurrence, L'Abbé Jules, où il attaque avec férocité la cellule familiale, Les vingt et un jours d'un Neurasthénique, une charge lourde et revigorante à l'humour noir. Un choc pour le militant libertaire que j'étais devenu en quête d'authenticité. J'avais trouvé là l'abondance dont j'avais besoin. Un auteur à ma mesure, une soif enfin étanchée. Une zébrure dans le bleu rance des conventions...
Un homme est un ensemble complexe, un puzzle. Les pièces ? Quelles pièces ? On maçonne une architecture sans se soucier de l'impact, ni du génie qu'elle va déclencher dans les esprits, par pulsion, le reste, si reste il y a, vient plus tard. Ou ne vient jamais.
De sa naissance en 1848 à sa mort, en 1917, Octave Mirbeau, journaliste, pamphlétaire, critique d'art, romancier et auteur dramatique, aura été un homme de passion. Un gars qui n'allait pas avec le dos de la cuillère quand il s'agissait de fustiger hypocrisie, injustice et autres monstruosités humaines... Son engagement politique est à la mesure de sa démesure, de sa colère, de son malheur : bonapartiste, royaliste, nègre pour le compte d'un certain Henri Dugué de la Fauconnerie, qui lui a donné l'opportunité de laisser tomber son boulot notarial où il étouffait... Il devient donc le secrétaire particulier de Dugué et est désigné pour écrire tout et n'importe quoi pour le compte de ce ponte. Il fera un boulot pas très ragoutant pendant sept huit ans, boulot qui lui permettait de bien gagner sa vie, mais pas d'exprimer ce qu'il avait à exprimer.
Mauvais élève à l'école dont il fut chassé, bien que je suggère plutôt une évasion dans ce qu'on peut considérer comme un pénitencier, a toujours assumé ses « errements ». Sébastien Roch lui permettra de dénoncer la pédophilie dont il fut victime chez les prêtres. Balayez, il restera toujours de la limaille accrochée au parquet !
Engagement et ruptures ont toujours été chez ce passionné d'une égale brutalité. Ne cherchez pas chez Mirbeau de la compréhension pour le corps politique de son époque, tous des politicards. Pour cet esprit exacerbé, l’État « est un tripot », la patrie « un mensonge dommageable » et le colonialisme , qu'il dénonçait comme des « réservoirs où peuvent impunément s'édifier des fortunes douteuses, une atrocité ! Des terres ignorées par les lois, le droit, la justice, l'humanité ». Pour Mirbeau, Stanley n'était rien d'autre qu'un bourreau !
La prise de conscience qui conduira Mirbeau de la monarchie à l'anarchisme était inéluctable. A une époque où l'attentat individuel faisait rage chez les anarchistes, de Ravachol à Émile Henry, des nombreux intellectuels bourgeois, par besoin de paraître, firent de l'anarchisme un « métier ». Une rente. Octave Mirbeau fut mis dans le lot très hâtivement, parce qu'il dérangeait beaucoup. Les convictions de cet intellectuel passionné ne doivent rien aux modes. Luigi Fabbri, anarchiste italien, fera le point sur cet engagement dans une brochure intitulée « Influences bourgeoises dans l'anarchisme », brochure dans laquelle il loua la sincérité idéologique d'Octave Mirbeau. Son implication dans l'affaire Dreyfus, aux côtés de Zola, un autre grand ami, en est la preuve, s'il en fallait une parmi tant et tant d'autres...
Homme curieux et passionné, blessé par la vie, Mirbeau deviendra, par le biais de ses articles dans la presse, dans ses livres, le défenseur des artistes décriés de son époque. Ami de Claude Monet et de Rodin, il sera parmi les premiers à admirer le travail de Camille Claudel.
Selon Sartre, Mirbeau incarnait une figure d'intellectuel critique, potentiellement subversif et « irrécupérable » !

On peut se procurer les ouvrages d'Octave Mirbeau dans la collection 10/18 à un prix raisonnable

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire