vendredi 2 mars 2012

Notes de lecture – Adieu, vive clarté – Jorge Semprun


Ébloui par les dieux, l'homme est cet être amputé, arpentant le jardin d’Éden, mendiant la part de divinité qui le rendra sinon meilleur, du moins plus fort. La force étant sa nourriture, il pèche souvent par boulimie.
Un livre est une aventure humaine et un combat que l'auteur veut définitif contre la poussière du temps. Il est la marque d'une utopie et la plaie jamais cicatricée d'un doute béant.
Quand un coup d’État militaire se transforme en guerre civile, nous sommes en Espagne en l'année 1936, et qu'au bout de trois longues années de luttes fratricides celle-ci se finit par la victoire des félons, il y a la douleur, les morts qu'on pleure, mais aussi toutes les valeurs d'une civilisation démocratique obtenues par les luttes qui, en s'effondrant, disparaissent dans les ténèbres de l'histoire pendant de longues années de tortures et d'assassinats. Ce fut pour le pays de Cervantès la longue nuit des tricornes. Ceux qui avaient eu la « chance » d'y échapper, ce fut l'exil, les camps de concentration, la seconde guerre mondiale, la résistance, le maquis, la mort ou la déportation, souvent les deux.
Une seconde guerre mondiale qui se finit par la victoire des armées alliées sur le nazisme, sans que personne ne bouge le petit doigt afin de débarrasser l'Europe des deux champignons vénéneux ibériques, Franco en Espagne et Salazar au Portugal...
Dans « Adieu, vive clarté », sous la forme d'un récit de « la découverte de l'adolescence et de l'exil, des mystères de Paris, du monde, de la féminité... », Jorge Semprun écrit encore et toujours sur cette douleur qui, de « Quel beau dimanche », à « Autobiographie de Federico Sanchez », dont la disparition des héros sont autant de suicides de l'auteur, ne le quittera qu'à sa mort, survenue à Paris en 2011. Une blessure intime qui égrène ce livre au fil des pages, sans le rendre larmoyant ou ténébreux, ou encore militant, truffé de Vivats et autres abats ! Au pire, vous croiserez Hugo, dans un truculent retour à l'envoyeur, Arletty, dont l'auteur connaît toutes les répliques, Beaudelaire, Rimbaud, et Paris, son Paris, celui qui n'appartient qu'à celui qui le regarde.
Issu d'une famille de la grande bourgeoisie espagnole, fidèle aux valeurs de la république, Jorge Semprun n'était pas, comme ses origines sociales pouvaient le laisser supposer, un énième avatar de sa classe, mais un homme libre engagé dans l'histoire de son époque, avec toute la passion de son âme. Homme de culture et homme d'action, l'un ne pouvant se passer de l'autre, il allait au bout de ses engagements avec la seule arme possible, quel qu'en soit le contexte : son intégrité d'homme libre. Antifasciste, il a été de toutes les luttes, d'abord en tant que résistant au nazisme, puis comme militant communiste clandestin contre le régime franquiste. Mais c'est toujours en homme libre qu'il agissait, ce qui lui valut d'être exclu du PC de Santiago Carrillo en raison de « divergence de point de vue avec la ligne du Parti » en 1964. Plus tard, alors qu'il est devenu ministre de la culture sous le gouvernement socialiste de Felipe Gonzalez, en conflit ouvert avec le numéro 2 du PS, Alfonso Guerra, il claque la porte parce que Félipe Gonzalez avait couvert des pratiques douteuses d'Alfonso Guerra.
Voilà pour l'homme.
« Adieu, vive clarté » est un livre dans lequel, l'apprentissage du français, après celui de l'allemand, passe par la poésie et par l'écriture. Alors qu'il avait « honte » de cet accent (merveilleux, j'en étais jaloux) qu'il avait quand il parlait le français, parce que, considérait-il, à tort, que le français était une langue faite pour être écrite ! A le lire, on se surprendrait presque à lui donner raison. Une écriture limpide, fluide et... sans autre accent que celui de l'émotion vous soulevant l'épiderme par sa poésie et, par sa très vive clarté !

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