jeudi 16 mai 2013

Notes de lecture : « Yellow birds », de Kevin Powers

« Une chose ne peut être absurde qu'à condition qu'un nombre suffisant de personnes la prenne très au sérieux. » K.P. 

La mort est une colle résistante, ricanante, oisive et sûre de son adhérence. De la prise de conscience à l'état d'inconscience, elle est, tour à tour, chat et souris. L'ayant trompée, moquée, bravée avec insolence, s'offrant au passage sursis et frissons, l'humain, éternel joueur, ne se faisant aucune d'illusion quant à l'issue de la partie, la trouille au ventre quand même, aime ce défi de perdant que la vie lui offre dès la naissance comme un cadeau exceptionnel. Un livre est un pied de nez à son coup de faux. Un prolongement que la poussière de la postérité nappe d'une couche de plus en plus épaisse. Il est une guerre contre la défaite ainsi que la mise en lumière de la grande dépravation humaine. 
« Yellow birds », de Kevin Powers, fait partie de ces livres qu'on ouvre avec précaution et que l'on referme avec le sentiment d'être passé de l'état de laideur à l'état de beauté en un battement de paupière, un peu à la façon du héros du livre qu'on entraîne à tuer pour défendre des valeurs qui ne sont pas les siennes, mais auxquelles il se doit d'être attaché, comme la chèvre au piquet. Ce n'est que plus tard, épargné par la mort, qu'il comprendra que la guerre ne rapporte qu'à ceux qui la déclarent sans jamais la faire, les riches, les marchands de canons, les financiers et autres fabricants de fléaux. Lui, il ne lui reste que la gestion d'une âme dévastée, comme ce jour où, à Kaiserslautern, escale allemande, à la veille d'il ne sait quoi, échangeant l'ambiance de la caserne, où il est consigné, pour une promenade insolite et interdite au cœur d'une église, refusant l'invite d'un prêtre à « libérer la parole », se retrouvant quelques pas plus loin, sans plus de réponse, dans le vacarme et la misère d'un bouge où la seule chose qu'on demande au croyant c'est de régler l'addition après la saignée. 
L’Irak, la guerre, une énième génération sacrifiée au nom de valeurs absconses, que je me suis dit en ouvrant le colis. Encore un récit de sueur, de sang et de mépris, se dit-on, avec des fortes réserves et l'odeur familière des refus oubliés. Sauf que, dans le cas présent, dans un récit aléatoire où la chronologie retrouve son compte, la navigation est de haute volée. Un voyage où la poésie, cette intruse, façonne le monde intérieur avec une vigueur réconfortante. 
Bartle a 21 ans et son avenir est suspendu à un coup de dés, pas plus grand que la taille d'une balle hasardeuse ! A peine éclose, sa jeunesse est déjà un champ de ruines où poussent des fleurs sans odeur, juste bonnes à tresser des couronnes mortuaires. Jeune et déjà immensément vieux, Bartle est ce soldat qui ne sera, à jamais, qu'un mauvais soldat, s'appliquant à respecter les consignes au pied de la lettre, non point pour devenir un modèle, mais pour sauver sa peau, comme tous ceux qu'il a vu crever sans savoir pourquoi eux et pas lui. Se demandant pourquoi le parfum des jacinthes ou de jasmin dégage une onde merveilleuse au milieu d'un tas de cadavres pourrissant au soleil, si ce n'est que pour raviver le regret d'un bonheur auquel le guerrier, le symbole, la bécane publicitaire, n'avait accordé qu'un intérêt superficiel au moment où les politiques lui matraquaient la bonne direction à prendre. 
Né à Richemond, en Virginie, Kevin Powers est diplômé en littérature et a eu une bourse en poésie à l'Université d'Austin, au Texas. Il s'est enrôlé dans l'armée des États-Unis et a combattu en Irak en 2004 et 2005. Il obtient avec ce livre un succès à la hauteur de sa valeur. 

PS. Merci à Pascale et Bernard pour ce superbe cadeau.

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