jeudi 24 avril 2014

Le tout sur le tout - Henri Calet

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C'est guidé par le conseil de Didier Goux, il y a un moment déjà, que, après lecture de « La rue des maléfices », de Jacques Yonnet, livre insolite où il est question de Paris, de son histoire, de sortilège, de mangave et de la Mouffe, que je me suis accroché aux basques d'Henri Calet, écrivain élégant et mélancolique, homme de bien - aussi bien et aussi bon que le premier cité - et ce fut un grand plaisir.
Raymond Théodore Barthelmes, son état civil, était aide-comptable dans une société de câblage jusque dans les années 1930. Je vous laisse deviner les conditions de travail à l'époque où l'heure des congés payés n'avait pas sonnée le quart. Que d'éloges de la part du personnel de l'entreprise et de ses supérieurs sur ses compétences et son amabilité après un départ brutal : un employé modèle. Qui s'en serait douté !...
En effet. Suivant une prise de conscience, comme on en cherche dans nos sociétés présentes, il faussa compagnie à l'entreprise avec, sous l'bras, le contenu de la caisse, soit l'équivalent à l'époque de plusieurs années de salaire ! Pécule patiemment compté, vite embarqué, qu'il se dépêcha de dilapider en Amérique du Sud, qu'on ne nommait pas encore Latine. C'est à cette époque que Raymond Théodore Barthelmes, patronyme difficile à porter, devint Henri Calet, pseudo bien plus discret et facile à retenir.
Après tours et détours dans ce continent profond, pris de nostalgie, il revint à la case départ. A Paris. Parisien de cœur et d'âme, sa ville lui manquait. C'est là toute la force de persuasion des racines : on ne les quitte que pour mieux les retrouver, quel qu'en soit le prix à payer...
Homme raffiné, fin lettré, Henri Calet est mort d'ennui, pourrait-on dire, à l'âge de 52 ans, un poil trop tôt à mon goût. Il est cet écrivain qu'on lit ou qu'on découvre au-delà de ce seul livre, dont le titre est on ne peut plus évocateur.
Dans cette époque sans repères, malgré le lustre et l'illustre, il est bon de trouver, non pas le refuge du lâche, mais la source non polluée où étancher la soif. N'allez pas penser que l'homme était une sorte de dandy trimballant une élégance désabusée de salon en salon pour le seul plaisir d'un ego en mal de d'adulation. Ce gars en avait dans le calcif. Il venait de la basse et avait traîné guêtre en des endroits que le bourgeois ne fréquente pas. De père anar et de mère flamande, lustrant du parquet et faisant du ménage pour subsister, rongeant une frustration latente, mais gardant silence, pleine d'abnégation, disait-on jadis pour désigner la bonne bête, l'enfance de Calet est à l'image de son époque : dure. Il en parle avec tact, il est des douleurs qu'on n'étale pas à la fenêtre comme on étend son linge.  De son extraction modeste il a gardé le goût du travail bien fait et un naturel très original. Tous ceux qui l'ont croisé, Camus entre autres, l'affirmaient : un atypique. Un rétif à toute forme d'inféodation. Un homme de grande classe. 
Dans ses articles, pour Combat ou dans l'hebdomadaire Terre des hommes, on aimait ses papiers pour la liberté de ton et la singularité des sujets. Jamais là où on l'attendait, mais toujours au bon endroit. « Ses articles n’étaient pas tout à fait comme les autres. », a-t-on dit à leur sujet.
Paris et Calet n'en font qu'un. Où qu'il se trouve, Paris l'accompagne. Quand on lit ce qu'il écrit au sujet de cette maîtresse négligée mais jamais oubliée, au moment des retrouvailles, on sent qu'à l'intérieur de cette passion amoureuse et poétique couve un feu que même la mort ne peut ensevelir. Il sait tous les chemins, il connaît tous les plaisirs, sans rien ignorer de son ignorance. Au bruit du pavé, il vous dit de quel côté de la Seine vous vous trouvez. Au son de la pluie qui tombe sur les toits, il sait « les plans, les matériaux, les classes, les âges, les beaux et les vilains quartiers… »  
Allez demander à cette maitresse de changer d'amant. « Les souvenirs sont comme des lianes… », écrit-il. Quand il parle du petit Montrouge, son point de référence, son lieu de naissance, ses racines, il est impossible de ne pas les aimer : Paris et Calet.

Le tout sur le tout - Henri Calet - L'imaginaire - Gallimard - 7€ environ.


PS : L’écrit parle, association littéraire, animée par Gérard Lambert Ulmann, auteur du dernier chapitre, dont Rémi a fait sa chronique du 23 mars, consacre une Lecture apéritive avec Henri Calet, jeudi 24 avril à 18 h 30, Au Skipper : 1 Boulevard René Coty à Saint Nazaire. 
Si vous rodez par ces lieux aujourd'hui...


Sous l'casque d'Erby

Tangy

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